L’art de la céramique requiert de nombreuses compétences techniques et artistiques. D’innombrables vidéos sur YouTube nous présentent des œuvres incroyables en grès ou porcelaine qui semblent être modelées en quelques secondes. Toutefois, ce que ces démonstrations omettent souvent, c’est que le travail de la terre demande de la patience et de la résilience. L’argile est une matière qui s’apprivoise avec le temps, même si elle est agréable à travailler dès qu’on la prend dans ses mains. En effet, un pot façonné peut vite briser, se fissurer, se déformer… C’est pourquoi l’apprentissage de l’art de la céramique passe aussi par la capacité à surmonter les difficultés.
Je vous partage dans cet article mes réflexions et la vision de nombreux artistes qui ont vécu des échecs ou des périodes de remise en question, mais qui ont décidé de continuer à créer malgré ces difficultés !
Surmonter les difficultés pour devenir un meilleur artiste
Avec le temps, j’ai remarqué qu’une partie des débutants en céramique considèrent une fissure comme un échec total. Pourtant au début les fissures sont inévitables au tournage comme au modelage, que ce soit avec la faïence, le grès ou la porcelaine. Même si cela peut sembler décourageant, elles nous donnent des informations précieuses sur la conception d’un vase, d’un bol ou d’une assiette. Certains étudiants en art, très doués mais peu habitués à ces déboires, abandonnent pour s’inscrire dans une autre matière. D’autres au contraire persévèrent et s’améliorent au fil des ans.
Les échecs et les remises en question font à mon avis partie de la démarche d’un artiste. Ils ne sont pas systématiquement signes d’un manque d’expérience comme on tend à le croire. Il s’agit aussi d’une capacité à innover, à prendre des risques, à découvrir les limites de la matière qu’on façonne. En comprenant cela je crois qu’on peut apprendre davantage, et donc avoir de meilleures chances de succès en tant qu’artiste, peu importe sa spécialité.
« Tout ce qui nous arrive, y compris nos humiliations, nos malheurs, nos embarras, tout nous est donné comme matière première, comme argile, pour que nous façonnions notre art. » Jorge Luis Borges, écrivain. (traduction libre)
Faire preuve de patience
Quand une poterie ou une sculpture est sèche mais pas encore cuite, on la visualise déjà terminée, bien plus que lorsqu’elle est recouverte d’une glaçure fraîche…
À ce stade beaucoup de débutants s’attachent à leur pièce, et s’imagine que le reste est une formalité. Au contraire, il est important de visualiser les prochaines étapes du processus de création avec l’argile. Sinon les finitions, le séchage, l’enfournement et l’émaillage sont bâclés et la déception peut être énorme. La patience est de mise à toutes les étapes du processus ! La persévérance de l’artiste céramiste Josie Daisy m’a particulièrement impressionnée cette année. Elle a intégré des moules en plâtre a son processus de production, et a fait face à de nombreuses difficultés, mais n’a jamais lâché. Je vous invite à relire l’interview que j’ai fait d’elle à ce sujet.
« Il y a beaucoup de variables qui entrent en jeu [dans la création d’une pièce en argile] , donc de grands risques d’échecs, mais de succès également. On doit simplement être patient avec soi-même et avec la matière ». Josie Daisy
Voir aussi l’article : Comment reconnaitre les 7 états de l’argile
Savoir se renouveler malgré les difficultés
Les potiers d’expérience ont souvent un processus de production de base bien rodé, du tournage à la cuisson. Pour certains artistes céramistes, c’est très judicieux de maîtriser à fond tous les paramètres qui entrent en compte. À force de faire les mêmes cuissons, on connaît son four par cœur, à force de faire les mêmes gestes, on arrive à une grande maîtrise. Et ainsi on a moins de pertes, moins de déconvenues. Mais le risque est aussi de se cantonner à un savoir-faire précis et d’avoir peur de se renouveler. Il y a donc un juste milieu à trouver entre maîtrise et innovation.
“Si l’on sait exactement ce qu’on va faire, à quoi bon le faire ?”
Picasso
Voir aussi l’article : Comment définir son style artistique ?
Se soutenir pour faire face aux difficultés
Avez-vous remarqué ? Si vous entrez dans un atelier de poterie, il y a de fortes chances qu’il n’y ait pas un, mais deux, trois ou même dix céramistes présents. Parfois un merveilleux silence règne, parfois ils se concertent, organisent les matériaux qu’ils achètent ensemble, discutent planning de cuissons… On fait souvent référence à la communauté des céramistes, ce n’est pas pour rien. On se soutient aussi lorsque les choses tournent mal !
« Il y a quelque chose de vraiment particulier à propos de ce médium et de sa difficulté qui nous réunit tous. »
Linda Swanson, professeur de céramique et artiste internationale.
Si vous apprenez la céramique en solo ou créez seul(e) dans votre atelier, je vous propose d’aller jeter un œil à l’Instagram ceramic_casualties. Imaginez que ces personnes sont vos colocataires d’atelier, et vous vous sentirez tout de suite moins découragé ! C’est d’ailleurs pour sensibiliser ses élèves qu’un professeur a lancé ce compte Instagram qui présente la réalité moins glamour de la pratique des artistes céramistes. Ça détend !
Voir l’instagram : ceramic_casualties
Faire des associations artistiques
Parfois on n’a plus envie de créer seul, on en a trop sur le dos, ou on a besoin de nouveauté, alors il est peut-être temps de collaborer. Le travail de l’argile est parfait pour s’associer avec un designer, un bijoutier, un illustrateur…Travailler à deux, faire des collabs’, permet d’innover et d’entrer en terrain inconnu plus en confiance. Les ratés de conception sont alors perçus comme de simples étapes de recherche.
« Je fais beaucoup de collaborations. Le partage de savoir entre deux personnes pour arriver à un nouveau produit, je trouve ça très motivant. » Stéphanie Goyé, artiste céramiste.
Accepter l’inconfort dans la pratique
Madeleine Chevalier a travaillé jusqu’à la fin de la trentaine dans le domaine administratif. Elle a décidé de changer de vie du tout au tout pour pouvoir sculpter la matière. Elle est partie s’installer à l’autre bout du Canada, et s’est lancée dans des études en art. Elle gagnait sa vie d’une toute autre manière, comme professeur de yoga. C’est dans ce nouvel équilibre qu’elle a pu pleinement s’épanouir dans son art. Alors qu’elle me racontait ce choix de vie, son visage s’illuminait. Son travail de sculpture, reconnu de ses pairs, dégage une puissance remarquable.
« Je veux être complètement épuisée quand je mourrai… car plus je travaille dur, plus je vis. C’est mon mantra qui résume les sentiments parfois inconfortables que j’explore lorsque je crée en argile. Lorsque je travaille sur une nouvelle sculpture, j’ai l’impression qu’elle vient d’endroits profonds de mon subconscient, l’argile aidant à façonner et à remodeler mon moi intérieur. J’ai souvent l’impression d’avoir découvert des blocs d’émotions indésirables, après quoi je me sens à nouveau libre et heureuse. »
Madeleine Chevalier, artiste visuelle et sculpteur
Voir l’instagram de Madeleine Chevalier – Image en entête : crédit Madeleine Chevalier.
Transformer les contraintes en opportunités
Yves Decoste, n’est pas céramiste, mais son parcours vaut le détour. Il a passé sa vie sous les projecteurs comme acrobate dans les spectacles du Cirque du Soleil, un travail exigeant physiquement et mentalement. Toutefois il avait une autre passion : la photographie. Difficile de montrer ses créations quand on parcourt le monde en permanence. Mais la passion a grandit. C’est devenu une part de son quotidien.
“Je faisais ma performance sur scène le jour, et la photographie la nuit dans ma chambre d’hôtel. Je m’amusais beaucoup ! ».
Yves Decoste, performer et photographe
Au retour de chacun de ses voyages, son appartement se remplit de photographies (des tiroirs d’œuvres imprimées sur du papier de grande qualité). Il utilise une technique totalement unique basée sur de longues expositions. Grâce à sa capacité à maintenir des postures et à maîtriser chaque mouvement, il se met en scène dans des photos où son corps est la principale source de lumière !
Lorsque la pandémie est arrivée, les spectacles ont été annulés du jour au lendemain. Un temps d’arrêt des tournées…qui s’est prolongé. Comme pour beaucoup d’artistes de ce milieu. Mais le plaisir de créer était toujours au rendez-vous. Et la photographie est devenue un deuxième métier, qu’il savait pratiquer à la perfection dans des espaces restreints !
Voir le site de Yves Decoste
Se donner le droit à l’erreur
Pour ma part, c’est dans vos messages que je trouve la force de continuer les jours de « mauvais temps ». J’y découvre régulièrement de merveilleux témoignages d’optimisme et de résilience. Voici un extrait que je garderai anonyme, si vous me permettez.
« Pourquoi l’argile ? Parce qu’il offre ce cadeau magnifique du droit à l’erreur. Se tromper et recommencer. Tomber et se relever. Découvrir la complexité derrière une forme qui paraît simple. Découvrir le plaisir d’avoir créé. Entendre des félicitations, des encouragements. Faire plaisir avec ces réalisations. »
À vous la parole !
Que vous soyez novice ou expérimenté, qu’est-ce qui vous pousse à persévérer dans votre pratique avec l’argile et à relativiser vos difficultés avec la terre ? Quelles leçons avez-vous apprises dans votre parcours artistique ? Laissez-moi un commentaire ci-dessous !
10 Replies to “Comment surmonter les difficultés en céramique ?”
Bravo, merci
pour toutes ces informations, chaque étape,
Différente technique, astuces.
Culture, vous sitez des céramistes qui me sont Inconnus…
Donc, comme tanted autres j vais vous suivre avec délectation…
Merci Émilie d’être là. J’ai abandonné la céramique il y a trente ans par découragement. Je m’y remets actuellement , la flamme était toujours lâ.
Robert
Merci pour ce beau partage ! Bonnes retrouvailles !
Merci merci je suis en phase de découragement justement car j la i abimé plusieurs de mes pièces
Envi de tout mettre en suspens mais cet article me re dynamise encore merci
Merci pour cet article qui donne envie de créer, sans se décourager des nombreuses fois ratées, avant de pouvoir réaliser un produit qui reste encore imparfait! mais qui donne de la fierté et de la légèreté pour reprendre la belle aventure !
Merci pour ce travail et ces conseils qui nous redonnent du courage face à nos échecs.
Bonjour
Je vous découvre ce matin. Quelle chance ! J’ai touché la terre cette année après en avoir beaucoup rêvé et trop longtemps.
Merci de votre accompagnement. Je vais vous découvrir avec gourmandise.
Catherine
Pour moi l argile est une amie et nous apprenons à nous connaître depuis 10 ans .
Elle m à appris l humilité et la patience .
Votre présence dans mon apprentissage solitaire m aide beaucoup et je vous en remercie car je me remets en question.et ça me permet d’avancer
A bientôt
Hélène
Merci Emilie, pour cet article précieux.
Envisager les embûches et les difficultés nous rapproche autour de nos échecs et, dans le même temps, nous redonne du courage. Double mouvement d’humilité et de déploiement. Double mouvement, paradoxal, au coeur-même de la pratique de la terre.
Vraiment, merci beaucoup pour ce que vous faites.
Thank you so much for this article dear Èmilie!
Ceramics is an age-old practice and material.
There are many reasons why I love to play with clay.
One of them is that I was born in a small port- town called Safi in Morocco, which is very well known for its ceramics.
When i was 6 months old though i had to leave my birth town under challenging circumstances, for political reasons.
Working with clay offers me possibilities to question a fragment of my childhood in which words and images were absent.