La façon dont la céramiste Gaële Dufaux-Mathieu décrit son travail de potière m’a ramenée à mes premiers plaisirs avec la terre. Elle met beaucoup d’amour dans chacun de ses gestes, et cela se ressent dans ses créations… Ses céramiques tournées, aux allures douces, sobres et intemporelles sont de véritables petits bonheurs à apprécier au quotidien. On part à sa rencontre et on découvre son atelier.
Comment as-tu découvert le travail de l’argile ?
J’ai grandi entourée de pièces faites à la main. Pratiquement toute notre vaisselle chez ma mère et mon beau-père était de céramistes d’ici. Donc j’ai développé une sensibilité tôt pour les objets faits main, uniques. Pour moi, ça a toujours été la norme que ce soit de tels objets qui nous entourent, des objets avec une âme, avec un nom derrière.
Mais le travail de l’argile à proprement parler, je ne le connaissais pas avant de m’inscrire à la technique en métiers d’art. Ça s’est fait sur un coup de tête en fait. Je n’avais encore jamais tourné. J’étais à un moment de ma vie où je n’avais aucune idée de la direction à prendre.
Plutôt que de me tourmenter à trouver quelle pouvait bien être ma passion, j’ai décidé de lâcher prise, d’essayer plein de choses et de voir où ça me mènerait. Et ça a commencé avec le programme de céramique de Bonsecours, sans trop croire que j’allais être prise et, surtout, en étant convaincue que je n’allais jamais faire les trois ans de formation au complet. Ça fait neuf ans maintenant que je pratique la céramique ! 😉
Comment ta pratique s’est développée ?
Quand je suis sortie de l’école, j’avais une collection tournée, une collection façonnée et 5 glaçures différentes. Je me suis rendu compte que c’était difficilement gérable pour tenir un inventaire et un bon rythme de production. J’ai donc privilégié le tournage qui me vient le plus naturellement, et sur les pièces avec lesquelles j’ai le plus d’affinités. Ma technique s’est améliorée d’années en années.
Et pour les glaçures, bien qu’elles étaient toutes belles individuellement, exposées ensemble elles se nuisaient, ça ne faisait pas « collection ». Je me suis concentrée sur mon bleu mat foncé et le blanc satiné, mes deux glaçures les plus abouties, mais aussi un grand classique intemporel. Soudainement, ma collection a pris beaucoup de sens.
Y a-t-il eu des rencontres déterminantes dans ton parcours artistique ?
En sortant de l’école, j’avais le sentiment que je n’étais pas prête à être en atelier seule, que j’avais encore beaucoup à apprendre. Et puis j’allais me priver de l’expérience d’autres céramistes. Effectivement, j’ai énormément appris et évolué auprès de mes colocs d’atelier. Notamment Wai-Yant Li dont j’ai partagé l’atelier la première année et Daniel Gingras dans l’atelier duquel je suis depuis maintenant sept ans.
C’est un privilège de côtoyer un potier de son expérience. Et de sentir qu’il estime mon travail est certainement une grande source de fierté et d’encouragement à continuer dans cette voie. Il est sans nul doute la personne qui me pousse le plus dans ma pratique. Il croit en mes capacités et m’invite à les dépasser.
Comment définirais-tu ton approche de la céramique ?
Lorsqu’il s’agit de céramique utilitaire, pour moi c’est avant tout la fonction qui doit dicter la forme. Il faut que la pièce soit pensée pour les mains qui la tiendront. L’esthétisme d’une pièce en découlera naturellement, son équilibre, sa beauté.
Ensuite, à chaque personne de trouver la forme qu’elle a dans les mains. On a tous des visions un peu différentes et une attirance intuitive vers une forme plutôt qu’une autre. Il faut respecter la forme qui nous vient spontanément, ça se sent.
Des fois c’est notre corps aussi qui a besoin de changer de forme. Après avoir fait la même forme arrondie pendant des années, j’ai eu une grande envie de passer à des pièces droites. Ça a été ma nouvelle collection des dernières années.
Et puis, depuis quelque temps je change à nouveau pour quelque chose de plus organique, parce que c’est la manière dont j’ai envie de travailler l’argile ces temps-ci. Mais aussi parce que mes poignets étaient rendus à trop souffrir de monter des parois parfaitement droites et étroites.
À quoi ressemble pour toi une journée à l’atelier ?
Je n’ai pas de routine. Je peux engranger des périodes de production et rush intenses de 10-12h, 7 jours sur 7 s’il le faut, puis mettre tout en pause et partir en voyage 3 mois. Quand je produis sans être dans le rush, je n’ai pas non plus un horaire de travail fixe.
C’est à la fois le privilège et le plus grand défi de ce métier pour moi : travailler à son compte, avoir une liberté, une disponibilité, mais qui oblige à devoir se motiver soi-même et prendre ses propres décisions constamment !
Je peux prendre une journée off en milieu de semaine, mais dans le cerveau de l’entrepreneure à son compte, ça ne s’arrête jamais réellement.
Il y a évidemment moyen de pratiquer ce métier de manière plus équilibrée, et c’est le cas de la majorité. Ma charge mentale en serait sans doute en partie soulagée. Mais tant que je peux vivre ce rythme libre, j’ai de la difficulté à me résoudre à un horaire « classique » au diapason du restant de la société mais sans en avoir les avantages.
Parce que c’est la réalité de ce métier, il demeure précaire, dur sur le corps et peu rémunéré pour la majorité. Mais ce constat ne m’accable pas, je me sens privilégiée de la disponibilité et du temps que je peux m’octroyer. Pour l’instant dans ma vie, c’est cette richesse qui compte.
Quels conseils d’ami donnerais-tu à quelqu’un qui débute la céramique ?
Je ne saurais trop donner de conseils, si ce n’est de faire attention dès le début à vos postures, habitudes et manières de travailler pour préserver votre corps autant que possible. Les douleurs et conséquences sur votre corps arrivent vraiment plus tôt qu’on peut le croire.
J’aurais aimé aussi qu’on me dise en sortant de l’école qu’il y a plusieurs manières de faire ce métier, plusieurs parcours possibles.
Le “modèle” que j’élabore au fur et à mesure de mes années de pratique, ne convient sans doute pas à beaucoup d’autres . Mais il existe et est possible. À vous de trouver le vôtre, de modeler votre carrière à votre vie, à vos ambitions, vos intérêts, vos besoins.
Pour ma part, j’ai la certitude que la céramique sera là toute ma vie tout en sachant que je ne veux pas en faire tous les jours de l’année. C’est mon occupation centrale, je suis profondément fière de pratiquer ce métier et de pouvoir en vivre, mais j’ai aussi d’autres intérêts. Et au-delà de ça, je ne veux pas nécessairement faire reposer tous mes besoins financiers sur ma pratique et lui mettre comme à mon corps une pression insoutenable à long terme.
J’ai longtemps cru que ça faisait de moi une “mauvaise” céramiste, une potière pas assez passionnée peut-être. La réalité est que c’est ce qui fait que j’aime toujours mon métier, que je le pratique encore, que j’ai envie de me développer toujours plus comme céramiste et que je continuerai sans doute toute ma vie.
Y a-t-il des choses que tu souhaites explorer davantage avec l’argile dans le futur ?
J’ai amorcé une réflexion et une recherche sur la provenance et la nocivité de nos matières premières. C’est assez vertigineux de mettre le pied là-dedans parce que c’est si vaste. Ça impliquerait sans doute beaucoup de constats difficiles et de remises en question dans nos pratiques. Notre métier, bien loin d’être relié à notre environnement proche comme il l’était traditionnellement, est rendu complètement dépendant de la mondialisation et je ne sais pas s’il est réaliste ou même possible de retrouver un aspect local à nos pratiques, mais il est certainement possible d’en prendre conscience et de les améliorer dans ce sens.
Où peut-on voir ton travail ?
Mes pièces sont disponibles à l’occasion de quelques réassorts par année sur ma boutique en ligne, lors de ventes d’atelier et presque chaque année au 1001 Pots, sauf quand je suis partie en voyage 😊 !
Découvrez le site Web de Gaële : gaeleceramiste.com
Découvrez son Instagram
Vous avez apprécié cette interview ? Vous aimez les créations de Gaële ? N’hésitez pas à le partager en commentaires. C’est toujours très encourageant pour les artistes d’avoir le retour des lecteurs. J’espère en tous les cas, que cet article vous aura encouragé à créer en écoutant autant votre coeur que votre tête !
7 Replies to “Le tournage : une seconde nature pour la céramiste Gaële Dufaux-Mathieu”
Je ne peux que souscrire à ces commentaires que je partage totalement..Céramiste et sculptrice depuis 20 ans j’ai appris à mes dépends que travailler « trop en atelier « en manipulant des pains de terre lourds et en ne tenant pas compte de son corps et de sa fatigue est une mauvaise idée..Alors …vive les vacances de temps en temps, vive les voyages aussi longs qu’on veut et ..vive le retour à l’atelier quand on en a envie ..ressourcé et plein d’idées nouvelles !!
Ceci dit la création artistique est une des plus belles choses que la vie peut nous apporter alors marchons encore sur le chemin…
J’apprécie beaucoup ton travail et tes pièces reflètent ton image. Bon courage à toi
J’adore le travail de Gaële, je me suis procurée 2 de ses gobelets bleus, je les utilise tous les jours avec bonheur!
Merci beaucoup pour ce voyage avec vous qui transmet une belle approche.
Très beau travail. J’adore le bol de la 1 e photo, le jeu des couleurs bleue et blanches inversées. Merci beaucoup pour ce partage d’expérience.
J ai beaucoup aimé la façon dont Gaelle nous.partageait son expérience son rapport au corps et la nécessité d engager une réflexion sur la provenance des matières . Son travail est sensible et magnifique.
Merci pour cet article qui me donne envie de m’y remettre . C’était un des 2 projets de ma retraite mais j’ai abandonné au bout de 2 jours …