Thérèse Lebrun, pionnière de la porcelaine papier

ceramiste porcelaine papier

Les céramiques en porcelaine papier de la céramiste belge Thérèse Lebrun, toutes en délicatesse, fascinent et intriguent à la fois. Mais par quelle prouesse technique obtient-elle ces résultats avec l’argile ? Ses créations semblent défier le temps et la pesanteur…Quel est son secret ? Serait-ce sa curiosité, sa persévérance ou bien l’immense respect qu’elle a pour les matériaux qu’elle manipule ?

Votre réponse se trouve sûrement dans la lecture de cette entrevue que Thérèse Lebrun a eu la gentillesse de m’accorder au téléphone. 😉

 

Où as-tu découvert la poterie ?

C’est arrivé un peu par hasard. J’ai arrêté mes études et je voulais faire quelque chose de manuel. Je me suis retrouvée dans un atelier semi-industriel où l’on travaillait la céramique. Le patron m’a dit que si je voulais apprendre davantage, il conseillait d’aller dans une école faire un cursus en céramique.

En Belgique on a un système d’académies qui proposent des cours du soir pour tous âges, dans un cursus diplômant ou non diplômant. Tout le monde est mélangé avec des objectifs différents, des âges différents, des attentes différentes, des prérequis très différents.

Différents aspects de la céramique y étaient abordés, mais ce qui m’intéressait particulièrement c’était le tournage et la recherche sur les émaux de grès.

Après ça, j’ai fait un stage d’un an dans l’atelier de mon professeur de l’époque. Il tournait de la vaisselle et des pièces uniques mises en exposition. Moi j’étais essentiellement là pour faire de la production utilitaire, de la vaisselle. Cela m’a appris la rigueur du métier et ça m’a donné une bonne base technique.

 

Comment ton travail a évolué vers la céramique d’art ?

Artiste Thérèse Lebrun - crédit photo : Paul Gruszow
Crédits (entête et ci-dessus) : artiste Thérèse Lebrun – photo Paul Gruszow

 

Quand je me suis installée, j’avais déjà deux types de productions. J’avais une production alimentaire : des utilitaires et des petits vases, mais faits en série. Et j’avais aussi une production de pièces uniques qui allait en exposition dans des galeries. Et puis j’ai un peu abandonné la partie expositions parce que j’ai eu des enfants et que c’était difficile de mener tout de front.

Ensuite quand mon ancien prof, Mirko Orlandini, a pris sa retraite, il m’a proposé de reprendre sa place. C’était une vraie liberté qui m’était offerte, je n’avais alors plus de nécessité de gagner ma vie avec ma production de céramique : les rentrées financières se faisaient par l’enseignement. Les cours étant en soirée, j’avais une journée devant moi où je pouvais être à l’atelier.

Sans obligation de vendre, j’avais plus de liberté pour aborder ce que je voulais et faire mes recherches. Donc j’ai continué à faire du tournage, mais uniquement des pièces uniques. Je ne faisais plus les marchés, ni les ventes en magasin, je participais à des expositions.

 

Qu’est-ce que l’enseignement de la poterie t’apporte ?

L’intérêt de l’enseignement, c’est que d’une part on bouscule un peu les étudiants, mais les étudiants nous bousculent aussi avec leurs questions, leurs difficultés. Il faut toujours essayer de trouver des solutions avec eux par rapport à ce qu’ils cherchent à exprimer.

À un moment, je me suis mise à faire une recherche pour un étudiant. Je m’étais dit : “Tiens, j’ai vu des choses sur le papier terre et à mon avis ça va solutionner son problème”. Après quelques essais chez moi je me suis prise au jeu ! À ce moment là, j’étais arrivée, je crois, au bout de quelque chose avec le tournage, donc la porte était ouverte à un nouveau travail.

 

Arrêter le tournage n’a pas été trop difficile ?

J’étais assez triste d’arrêter le tournage, ce sont des moments très particuliers, presque de méditation. C’est un parcours de repli sur soi, et ça, ça me tenait assez fort. Mais assez vite, j’ai retrouvé d’autres situations qui me donnaient les mêmes sensations. Comme la façon d’assembler 1000 petits morceaux ensemble. On se trouve alors uniquement dans le geste, il faut faire le vide.

Un geste répétitif comme ça a quelque chose de fatigant mais aussi d’enivrant. C’est un état qui est proche de ce que je ressentais en tournant.

J’ai commencé ces essais puis j’ai eu l’idée de ce que je voulais faire avec. J’ai quand même tâtonné pendant six mois avant de sortir quelque chose de convenable. Petit à petit ma technique s’est mise au point, jusqu’à ce que j’aie beaucoup moins de casse à la cuisson ou à la fabrication.

 

Quels matériaux utilises-tu pour sculpter avec la porcelaine papier ?

Extrait du video portrait par Arthur Ancion – Becraft

Cela doit toujours être des matériaux qui ne servent plus. J’ai travaillé avec des fils de cuivre, avec des cordes, avec des tissus. Mais je ne vais jamais aller acheter quelque chose.

Par exemple, si je travaille avec des grains de café, je ne vais pas aller acheter du café pour le brûler dans mes céramiques. Je vais chez un torréfacteur et je lui demande de me garder les torréfactions ratées. Le café a été récolté, torréfié, manipulé, etc. Il y a des gens qui ont travaillé derrière moi. Je ne vais pas aller tout bousiller en le mettant dans la céramique pour le brûler. Il n’y aurait pas de respect pour la matière. 

De même, je ne vais pas aller acheter des fruits ou des graines chez la fleuriste, je vais juste travailler avec ce que j’arrive à récolter. La démarche est complètement différente.

Aussi je me définis comme une glaneuse. J’aime bien cueillir, ramasser des choses de la nature pour l’usage de l’atelier, mais aussi l’usage culinaire. Il y a aussi des plantes que je mets dans mon jardin parce que les graines m’intéressent.

J’ai également utilisé beaucoup de tissus, mais c’est vrai que maintenant, mon travail est principalement axé sur les plantes.

👉 Voir l’article : Quoi ajouter dans l’argile, 5 matériaux à connaître

 

Le volume de tes sculptures en porcelaine papier est-il déterminé ?

Je vais récolter des choses qui ont un volume qui m’intéresse, tout en pensant à la trace physique que ça va me laisser. Donc il faut toujours voir à l’envers. C’est comme pour le  moulage. J’utilise ces petits éléments que je remets ensemble, pour recréer quelque chose d’autre qui a une toute autre histoire que cet élément-là dans la nature.

La forme de l’élément récolté influence aussi la forme finale. Avec des petites capsules de coquelicots le résultat final sera différent qu’avec un physalis qui est beaucoup plus grand.

J’ai aussi des contraintes techniques bien réelles car il faut que ça tienne la route pendant le séchage, que je puisse cuire cette pièce en la soutenant, car il faut toujours soutenir la porcelaine.

Enfin on m’a beaucoup dit que mes céramiques faisaient penser au monde sous-marin. Ce n’était pas voulu au départ. Pourtant comme on m’a parlé de ça j’ai été voir des images qui m’ont sûrement influencées ensuite. Finalement c’est une émotion qui vient comme ça. On découvre des choses et on avance. Et voilà, le chemin se fait petit à petit.

 

Quel est ton rapport avec la matière argileuse ?

Les éléments me suggèrent des choses. Pour moi, c’est important de travailler à partir de la matière plutôt que d’avoir une idée préconçue et d’obliger la matière à répondre à mon désir.

Ça m’intéresse de travailler avec des éléments dont je connais la réaction, que ce soit les végétaux, ou le papier porcelaine, qui est une matière particulière. C’est intéressant de savoir quelles en sont les difficultés, les facilités, autrement dit de maîtriser la technique.

Ensuite l’aléatoire va venir casser la froideur de la technique. En somme, je cherche à jouer avec les difficultés du matériau, afin qu’on ne perçoive pas la technique qui est derrière.

L’artisan travaille avec un matériau et des outils qu’il connaît. Il installe des gestes et apprivoise la matière. Tandis que l’artiste visuel va plutôt vers un concept d’abord, et met ensuite la matière à son service. Je me retrouve dans la première approche.

 

Est-ce que tu fais ton propre mélange de papier porcelaine ?

sculpture céramique en porcelaine papier
Crédits : artiste Thérèse Lebrun – photo Paul Gruszow

Oui, c’est plus intéressant de faire son mélange avec le papier soi-même. Si on l’achète, d’abord c’est très cher et on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Donc on ne sait pas modifier les choses. Je peux décider, pour une raison ou une autre, d’augmenter mon pourcentage de papier ou le diminuer. Mais je ne change jamais de type de papier. Aussi je travaille beaucoup par trempage. Mais pour faire mes supports, je travaille avec la même porcelaine papier, de consistance différente.

Si j’achetais mon argile ça ne serait pas du tout comme ça. Ça donne vraiment une autonomie sur ce qu’on veut faire.  

J’utilise toujours la porcelaine papier, mais on peut très bien utiliser d’autres terres. J’ai déjà utilisé de la faïence ou du grès pour faire de l’argile papier.

 

Peut-on débuter la poterie avec de l’argile papier ?

Je pense qu’il vaut mieux connaître un matériau pour savoir où on peut l’amener. Qu’est ce qu’on peut faire avec ce matériau? Quel jeu on peut jouer à deux ? Le céramiste et l’argile en l’occurrence.

Tu sais que la faïence, le grès ou la porcelaine n’ont pas les mêmes réactions, non seulement au façonnage, mais surtout à la cuisson. Donc une faïence papier ne va pas être la même chose qu’une porcelaine papier. Et puis le papier amène d’autres propriétés qui viennent s’additionner à celles de la terre utilisée, comme la perte de plasticité.

Ça va donc être compliqué pour un débutant de percevoir les attraits et les inconvénients de la présence du papier.

C’est pourquoi dans mes formations, je travaille avec des gens qui savent ce qu’est la terre. Je suis partisane d’apprendre un instrument avant de faire de l’improvisation.

 

À quoi ressemble ton atelier de céramique ?

Mon atelier est toujours en désordre ! Je n’utilise que de la porcelaine et du papier. Je cuis dans un four à gaz. Je n’utilise plus d’émaux et ça me convient bien comme ça. Il n’y a même pas d’émail transparent, c’est vraiment juste la couleur de la porcelaine.

On perçoit pourtant de la couleur sur certaines céramiques ?

Tout à l’heure, je parlais de la trace physique des végétaux, donc la trace réelle que le végétal laisse. Mais il y a aussi la trace chimique. En brûlant, le végétal laisse une cendre qui, à haute température, vient s’associer avec la porcelaine et laisse parfois de petites traces brillantes comme de l’émail, parfois des traces oranges. C’est variable en fonction du type de végétal qui est utilisé.

 

Comment as-tu appris les cuissons céramiques ?

À l’école on avait des fours électriques. Mon prof chez qui j’ai fait un stage par contre avait un four à gaz. Donc j’ai participé, puis appris sur le tas et j’ai acheté mon propre four à gaz. J’avais quelques connaissances théoriques de comment mener une cuisson au gaz. Puis à force d’ en parler avec d’autres ou d’assister à des cuissons j’ai appris. Et puis on fait son propre apprentissage avec son four, parce qu’un four n’est pas l’autre.

Je n’utilise plus du tout les fours électriques. Ce n’est pas très bon d’y mettre un combustible comme le papier, ça abîme les résistances à la longue.

 

Comment as-tu fait connaître tes créations ?

Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est une association qui s’appelle le World Craft Council. Tous les pays n’y sont pas associés, mais il y a une section Europe, qui inclut la Belgique avec becraft et la France avec les ateliers d’art de France.

C’est essentiellement par eux que j’ai eu accès à des expositions de groupe en Belgique ou à l’international, et des participations à des salons. Puis, ça faisait parfois ricochet sur d’autres choses.

Parfois aussi, je participe à des concours, c’est une façon de faire connaître ses créations. Mais j’ai toujours trouvé ça désagréable de chercher à se montrer. En Belgique, il n’y avait pas énormément de galeries qui acceptaient de prendre de la céramique. Alors cette association a été ma vitrine. Et puis chaque parcours est différent. Il y a des gens qui savent mieux parler de leur travail, ou le vendre que d’autres.

 

Quelles sont tes occupations actuelles avec la céramique ?

Aujourd’hui je suis retraitée de l’enseignement. Ce que je fais encore, c’est de donner des stages. On m’invite régulièrement dans des lieux de formation. Je vais souvent en France qui fonctionne beaucoup avec les stages.

Durant le confinement dû à la COVID, j’avais plusieurs expos, deux expos en Hollande notamment, deux en France.  Soit les pièces revenaient sans que les caisses soient ouvertes, soit les pièces étaient exposées dans des expositions virtuelles. Je viens quand même de participer à l’exposition Homo Faber dans le cadre de la Biennale de Venise organisée par la Michelangelo fondation et qui a été reportée deux ans de suite.

Je trouve que les choses reprennent lentement. Mais je vais participer à des expositions de groupe. C’est quand même plus facile de travailler avec quelque chose qui se présente et qui est certain, qui amène des échéances.

 

J’espère que cette entrevue avec la céramiste Thérèse Lebrun, véritable pionnière de la porcelaine papier, vous aura plu ! N’hésitez pas à laisser un commentaire sous l’article ! 👇👇👇

Découvrez aussi Le site de présentation de Thérèse Lebrun sur Becraft 

Thérèse Lebrun dans son atelier expliquant son processus de création, par Arthur Ancion pour Becraft

 


19 Replies to “Thérèse Lebrun, pionnière de la porcelaine papier”

Duterde

Vraiment merci pour cet article.
Très intéressant et qui me conforte dans mon propre travail, mes recherches en céramique.

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martin

merci pour cette article et video très interessant

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SYLVIA LASSERRE

Merci pour cette présentation de la technique et de l’artiste. Toujours très intéressant de vous lire.

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Valérie Louise NICOLAS

Merci pour cet article , j’ai eu la chance de faire un stage sur 2 week-end avec Thérèse Lebrun et j’ai adoré son travail et la personne qu’elle est.

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Merci Valérie, je suis bien d’accord avec vous :).

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LEFEBVRE JACQUELINE

Très intéressant et le rendu est magnifique !
Merci pour vos articles toujours enrichissants !

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Odette Miane

J’adore le rendu de la porcelaine papier. Tout en finesse. Ce qui m’interroge c’est que la pièce est mise au four sans séchage préalable.

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Marie Noelle PARIZOT

Merciii! J ai adoré 🙂

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Bonjour Odette, je pense que les pièces ont séché avant d’être mises au four. Simplement toutes les étapes ne sont pas détaillées.

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Helene

Un plaisir à lire merci

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patricia lim

Merci. Une belle découverte. Un magnifique travail dont l’esprit me parle totalement. ❤️

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Nadine

Merci, comme toujours vos reportages ouvre de nouvelles portes…

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Carfantan

Génial, j’adore le rendu de cette technique

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Danya Usclat

Fascinant ! Merci beaucoup !

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alain

Encore un documentaire passionnant sur ce matériaux difficile à maitriser qu’est la porcelaine papier.

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LOMBARD

Merci pour ce partage entretien très intéressant

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Manuel

Trés beau travail créatif, la nature est irremplaçable de finesse. Merci pour ce partage.

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