Aujourd’hui je vais à la rencontre du potier Olivier Fisbach. Il m’a présenté son travail lors du concours des lecteurs organisé cet été. J’ai eu un vrai coup de cœur pour ses créations toutes en matières et ses céramiques Kintsugi. Il nous partage son approche singulière et comment sa passion de la céramique l’a amené à se reconvertir et à s’épanouir dans son travail.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler la céramique ?
J’ai travaillé 25 ans comme graphiste sur ordinateur, avec l’évolution que le métier a pu subir. J’ai connu une vraie perte d’intérêt, un manque de reconnaissance et de plaisir, et des rapports humains de plus en plus “numérisés”, normés et vides de contenus autres que hiérarchiques… s’en est suivi une remise en cause profonde sur mon métier, mon rythme de vie, mon mode de vie. Et une envie de plus en plus forte de posséder mon métier avec mes mains, de retrouver un instinct, un vrai contact ! La terre s’est imposée à moi, pour mon plus grand bonheur.
J’ai fait l’apprentissage du tour en découvrant en même temps ce qu’était le travail en groupe avec des gens bienveillants.
Je suis fascinée par la liberté que vous prenez avec les matériaux. Comment abordez-vous la création ?
Je ne commence que très rarement une journée de travail avec des idées déjà là… je mets mes mains sur le tour, et l’envie devient idée ! Je m’inspire de ce que je vois, de ce qui m’entoure dans la nature (arbres, branches, écorces, pierres, reliefs, nuages, tas de terre dans un champ…) et c’est le lien que j’en fait avec une ambiance, un sourire, une musique qui initie le geste !
Par ailleurs, j’aime à regarder, via les réseaux sociaux, les réalisations de céramistes des quatre coins du monde et de certains artistes plasticiens contemporains. Je suis ainsi très touché par le travail du céramiste Seungho Yang : qui sort directement de la terre, violent, séduisant, brutal et tellement « vrai », celui de Lucie Rie, qui incarne la douceur et la délicatesse et de Gustavo Perez, rencontré au marché de Saint-Sulpice en 2012.
Et, plus classiquement, j’aime flâner dans les musées à la rencontre de céramiques anciennes, tout particulièrement chinoises et japonaises, mais aussi incas ou grecques anciennes et étrusques. Par ailleurs, je suis très touché par la sculpture et la peinture notamment de la fin XIXe-début XXème siècle.
Comment abordez-vous le travail des glaçures techniquement et de façon plus personnelle ?
Techniquement, j’ose tout, sans vraiment de rigueur scientifique. Ce que j’aime, par dessus tout, c’est avoir, à l’ouverture du four, des surprises, parfois bonnes, parfois mauvaises. C’est la magie de l’émaillage. C’est pourquoi le moment de l’émaillage est toujours un moment délicat, qui, pendant longtemps, a même été « douloureux ». La crainte de “rater” la pièce a été longtemps très forte.
Avec le temps, on apprend à accepter de rater.
Il y a plusieurs moments où la pièce peut être ratée : il y a le moment de l’émaillage mais il y a d’autres étapes où cela peut se produire. J’ai appris, avec le temps, à retravailler une pièce en re-tournant, en ré-émaillant, en recuisant, puis, parfois en renonçant. Mon critère, mon indice, le signe, étant le moment où, dans la réalisation de la pièce, le lien se noue entre nous (la pièce et moi) et si, rien ne se passe, alors je sais qu’il faut que j’abandonne.
Comment pratiquez-vous le Kintsugi, est-ce d’une façon “classique” ?
Le Kintsugi m’a attiré depuis le début, pour une chose qui me plaît beaucoup, qui est l’idée de faire un objet neuf d’une céramique ébréchée ou cassée, ce qui donne un supplément d’âme à l’objet… Oui je la pratique de façon très classique. C’est un travail long et délicat puisque c’est un travail par étapes et avec de nombreux temps de séchage entre chaque étape. Un des freins de cette technique est la réaction allergique qu’elle peut provoquer, mais, à la longue, à force de la pratiquer, ces réactions allergiques se sont atténuées !!!
Faire un objet neuf d’une céramique ébréchée ou cassée pour donner un supplément d’âme à l’objet…
Pour en savoir plus sur le Kintsugi, voir l’article détaillé ici.
Qu’est-ce qui vous a aidé dans vos débuts avec la céramique ?
Je ne sais pas trop… Ce qui m’a poussé à mes débuts, c’est le besoin de changer et de me découvrir différemment. Le contact avec la terre provoque des émotions très archaïques où il n’y a pas de place pour la réflexion, tout est dans le corps et le ressenti. Le conseil que je donnerai à quelqu’un qui débute la céramique, c’est de se laisser guider par ses sensations, sa relation à la terre, sans idée préconçue sur ce qu’il va réaliser. Rater fait partie intégrante du processus de création. Il faut prendre ces ratages pour des chances de changer sa posture, son rapport au geste. Cette façon d’appréhender la céramique a également changé, et change encore, mon rapport au monde et à ceux qui m’entourent. Je trouve que c’est une façon reposante d’évoluer dans notre monde guidé par la nécessité d’excellence, de rentabilité etc.
Le contact avec la terre provoque des émotions très archaïques…
Qu’est-ce qui vous pousse à aller à l’atelier ? à créer ?
Le besoin, l’envie, le plaisir…et de me reposer en me recentrant sur moi-même.
Où trouver votre travail actuellement ?
À peu d’endroits, malheureusement… un petit peu sur Paris, notamment au Rocketship, un peu près de chez moi (Ecocinelle à La Queue-lez-Yvelines)… sur mon site et mon Instagram…pour moi le plus dur dans ce métier, c’est la partie commerciale !!!
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7 Replies to “Interview de Olivier Fisbach, la céramique à l’état brut”
Félicitations à Olivier : il suscite des réactions similaires que celles que recueillait Picasso : « ah, mon fils pourrait en faire autant ….! »
ben moi j’aime beaucoup ce travail qui relève, à mon avis, de l’œuvre artistique, parce qu’elle est le résultat d’une véritable expression personnelle. je partage aussi ses réflexions sur les idées de sensation au contact de la matière, l’archaïsme, les réjouissances liées à l’ouverture du four (moi, il me suffit d’une belle pièce pour être heureuse) ..
Réponse pour Gwenen
Parce que c’est quoi l’art ?? Moi j’adore , et ils provoquent de l’émotion, l’ingrédient essentiel à l’art . Ça ne vous grandi pas d’écrire des choses pareil .
Ah oui!? Déroutant, pas désolant. Enfants nous connaissions des secrets que nous avons avantage à retrouver. On ne voit bien qu’avec le coeur. Pour moi la poterie est de plus en plus la découverte d’un monde caché à l’intérieur du monde (-:
Ah quelle tristesse de se restreindre ainsi le champ de l’art.
Personnellement j’aime beaucoup sa recherche de textures d’inspiration naturelle.
Bonjour,
En tout cas ce n’est pas de l’art, tout au plus de la poterie du niveau de l’école primaire comme faisait mon fils quand il avait 6 ans… désolant…
Oh… les oeuvres des enfants sont souvent si belles et vivantes, on y verrait presque un compliment !
Je souhaite une bonne continuation à Olivier et à tout ceux qui ose montrer leur travail malgré la critique. C’est aussi ça être un artiste. À ce propos, je vous renvoie au livre « partager comme un artiste » dont je parle ici: https://neo-ceramistes.com/les-3-livres-qui-ont-change-ma-vie-dartiste-entrepreneur/
Jack, sérieux? On est devant un réel artiste! Et aucun lien, je suis du Québec. Il y a une émotion dans ses œuvres qu’on ne trouve que rarement.