Avez-vous déjà brisé une céramique souvenir à laquelle vous teniez énormément ? Qu’avez-vous ressenti ? Peut-être qu’il était temps de laisser aller, ou bien un véritable déchirement ? Comme si cet objet représentait une partie de vous-même. Si vous en possédez encore les morceaux, gardez-les ! Car il existe un moyen de lui redonner vie par une initiation au Kintsugi ! Découvrons ensemble cette technique traditionnelle japonaise qui vise à réparer des céramiques à l’or fin, mais qui surtout “renforce l’âme” de celui qui la possède !
Dans la période unique que nous traversons, le sens de cette pratique vous fera peut-être entrevoir qu’une transformation positive est possible !
Photo d’entête : Kintsugi par Myriam Greff, kintsugi.fr
Définition du Kintsugi
La pratique du Kintsugi (ou Kintsukuroi) ne consiste pas en une simple restauration où l’on cache les défauts de la pièce. La pièce brisée subit une transformation profonde pour devenir une œuvre d’art unique. Pour cela le maître Kintsugi va sublimer les lignes de failles avec de la laque et de la poudre d’or et ainsi rendre la céramique encore plus solide.
Kintsugi vient tout simplement du japonais Kin (or) et Tsugi (jointure) : jointure à l’or. Cette pratique date du XVème siècle au Japon et demande l’apprentissage d’un long savoir-faire. Avant cette époque, la coutume voulait que les céramiques japonaises cassés soient réparés à coup d’agrafes.
À l’origine le kintsugi est pensé pour ce qui touche à la cérémonie du thé, comme le bol chawan, qui est bien ouvert ce qui facilite la pratique.
Le Wabi Sabi ou le Zen des choses
Le processus fascinant du Kintsugi est basé sur le concept esthétique du Wabi-Sabi lui même inspiré de la philosophie zen. On le décrit parfois comme le “Zen des choses”.
Le Wabi-Sabi prône le retour à une simplicité, une sobriété qui rend l’existence plus paisible. On devient alors disposé à reconnaître et ressentir la beauté des choses imparfaites, éphémères et modestes, comme un simple bol de thé fait-main.
Dans le livre Wabi-Sabi for artists, designers, poets & philosophers l’auteur, Leonard Koren, nous explique comment il perçoit ce courant en l’opposant au modernisme. Pour davantage “ressentir” la philosophie et l’esthétique Wabi-Sabi lisez son évocation du Kintsugi :
« s’exprimer en privé, la vision intuitive, l’unique et le variable, la nature romantique et incontrôlable, la forme organique, ouverte, les matériaux naturels, la dégradation, ce qui est sombre. »
« La corrosion rend l’expression d’une chose plus riche, on sollicite l’expansion des informations sensorielles, on est confortable avec l’ambiguïté et la contradiction, la fonction n’est pas importante, il y a une saison pour toutes choses. »
*traduction personnelle de l’anglais
Le Kintsugi métaphore de la résilience
La transformation par le Kintsugi tient aussi de l’art-thérapie. Elle vous invite à transcender les épreuves et transformer ses cicatrices en fiertés et à se réinventer. Non seulement vous avez surmonté vos difficultés, mais vous avez grandi dans cette épreuve, pour devenir une personne encore plus belle.
Comme l’explique l’artiste maitre en Kintsugi Myriam Greff dans cette vidéo. « On ne vient pas au Kintsugi par hasard ! »
Le processus originel du Kintsugi
La pièce brisée va être réparée avec grand soin et devenir plus résistante, plus belle et plus précieuse encore qu’avant le choc. Le processus de réparation est long et extrêmement précis. Il va comporter de nombreuses étapes et s’étaler sur plusieurs mois. En effet la laque utilisée va sécher et durcir très progressivement. L’objet finalisé est décoratif, mais si il est réalisé dans la tradition Kintsugi avec la laque Urushi et de l’or pur, il est possible d’y boire ou manger. Attention renseignez vous bien sur la méthode de restauration avant !
Déclinaisons du Kintsugi
De multiples déclinaisons sont possibles comme le gintsugi, avec des jointures à l’argent ; le tintsugi, à l’étain ; l’urushi-tsugi à la laque pure, ou encore le yobi-tsugi par lequel on emploie un tesson provenant d’une autre pièce.
Étapes principales du processus de restauration
La préparation : Réunir tous les outils, les morceaux, les matières premières et mettre des gants.
L’étude de l’histoire de la pièce : Il s’agit d’observer sa porosité, ses lignes de brisure, l’agencement des morceaux, deviner sa fabrication, finalement toute sa vie depuis sa création !
Le collage : Recollez les morceaux avec un liant le Mugi-Urushi, mélange de farine et de laque Urushi. Puis tenez ensemble les morceaux par des adhésifs le temps que la résine puis sécher et durcir. À ce stade l’objet paraît plutôt laid, fragile, comme lorsqu’on fait une thérapie et que l’on exprime ses démons. L’objet est mis à sécher 7 à 14 jours dans une boite en carton.
Polir la pièce : Lorsque l’objet est parfaitement sec, on nettoie les traces de liant avec un cutter et de l’essence de térébenthine, on ponce avec du papier de verre pour lisser parfaitement la surface. Il ne reste alors plus sur l’objet qu’une cicatrice de couleur marron.
Application des laques : On dépose avec application sur toutes les cicatrices de l’objet une première couche de laque, noire, (Roiro-urushi) à l’aide d’un pinceau très fin. Puis après un polissage on applique une deuxième couche très fine de laque, rouge cette fois (E-urushi, ou Neri Bengara-urushi).
L’ajout d’or : On place la poudre d’or sur un pinceau (ou dans un tube d’application) et on saupoudre délicatement sur la laque collante. Ensuite on ajoute une dernière couche de laque protectrice.
Le polissage : Le Maître Kintsugi polit sa pièce avec un polissoir en agate (comme le céramiste 😉), ou une dent de poisson, de l’ivoire ou ce qui lui convient …
👉 À savoir : Un séchage (parfois très long) est nécessaire entre chaque application.
Comment s’initier au Kintsugi ?
Si on n’a pas de pièces de céramique, encore moins de céramique japonaise, pourquoi ne pas commencer par apprendre à façonner ou tourner ses propres bols à thé et les cuire. Et il y en aura forcément qui briseront (volontairement ou non!) dans le processus. Il est aussi possible de récupérer des pièces brisés chez un potier.
Les cours de Kintsugi
On peut suivre un cours dans un atelier avec un maitre Kintsugi. Voici une sélection franco-japonaise qui provient du site esprit-kintsugi.com
Myriam Greff, Kintsugi.fr
Atelier Tsukumogami, Tsukumogami.fr
Nicolas Pinon, nicolaspinon.com
CPIFAC, cpifac.com
Martine Rey, fabienmerillon.wordpress.com
Véronique Mooser / Dave Pike, vmaoo.ch (Suisse)
Showzi Tsukamoto, Kintsugi Golden Joinery experience (Japon)
Saideigama, saideigama.com (Japon)
Apprendre le Kintsugi par soi-même
On peut suivre un cours en ligne mais seulement en anglais pour le moment.
On peut également apprendre par soi-même en se faisant livrer un kit de Kintsugi par exemple et en suivre les instructions. Attention faites bien la différence entre les qualités de kits. Certains contiennent les ingrédients originaux et le véritable matériel pour appliquer les gestes ancestraux (celui-ci avec une notice en anglais, ouf!).
Il existe aussi des kits de « faux kintsugi » avec des matériaux alternatifs (Araldite, ou colles diverses). C’est idéal pour s’amuser sur un objet purement décoratif ou quand on n’a pas les connaissances, tout en s’imprégnant de la démarche. J’ai d’ailleurs commandé le mien chez Humade un designer néerlandais pour essayer, et je vous en donnerai des nouvelles !
Alors abonnez-vous pour ne pas manquer la suite de mes explorations ! 😉
One Reply to “Kintsugi : céramique japonaise et résilience”
Merci, merci pour ces articles passionnants. Je voudrais pouvoir les enregistrer tellement j’aime les lire et relire.
Quelle chance j’ai de vous avoir trouvée. Merci encore.