Ricardo Ruiz Ruz est céramiste autodidacte et gérant de Montreal Mosaïc Lab, un lieu dédié à la création de mosaïque artisanale à Montréal. Au-delà de ses compétences de mosaïste, il a développé un art de la céramique centré sur l’émaillage à partir de son immense passion pour les émaux. Il a eu la gentillesse de répondre à mes questions et nous parle de son parcours, ses recherches avec l’émaillage des tuiles de céramique, et de la façon dont il organise son entreprise artisanale.
Quel est ton parcours ?
J’ai commencé par travailler dans la construction à New York comme carreleur. J’ai trouvé une entreprise qui faisait de la mosaïque vraiment par hasard à Montréal : j’ai simplement tapé le mot clé “carrelage” sur Internet. Puis j’ai découvert Mosaika, une compagnie qui travaille la mosaïque autant que la céramique, de façon très artistique. Ils font aussi l’émaillage des tuiles en céramique, c’est donc avec eux que j’ai commencé. J’ai travaillé ainsi pour Mosaika pendant 14 ans !
Les 2 premières années, je travaillais strictement la mosaïque, c’était suffisant, je trouvais ça cool et c’était tout nouveau pour moi. J’ai ainsi développé mes compétences de mosaïste.
Puis on a reçu un gros contrat, la personne en charge des céramiques était débordée par son travail, donc j’ai proposé de l’aider pour apprendre la céramique.
C’était le début de mon amour de l’émaillage ! L’émaillage c’est vraiment quelque chose de zen à pratiquer, le résultat de la chimie, c’est comme de la magie, de l’alchimie pour moi !
Et au bout de 6 ans j’ai travaillé exclusivement les émaux. Là on m’a dit : « Voici ton atelier, tu fais ce que tu veux ! »
J’ai eu carte blanche ! J’ai vraiment pu expérimenter, mélanger toutes les couleurs, trouver des nouvelles textures. J’avais toutes les ressources pour le faire, alors que les émaux coûtent cher. De plus, j’étais influencé par l’aspect créatif des projets de l’entreprise.
Ça m’a poussé beaucoup ! Ça a vraiment ouvert la porte à l’élaboration de tous les émaux que je développe aujourd’hui.
Quelle est ton approche de la céramique et de la mosaïque ?
Dans la mosaïque on peut expérimenter les lignes, les formes… Mais avec l’émaillage céramique on est vraiment dans la chimie. L’imagination peut s’envoler. Il y a beaucoup plus d’aspects à découvrir : la chimie, les matériaux, les mélanges. On n’est pas limité du tout.
Cela a réveillé mon côté d’expérimentateur scientifique et ça a parlé aussi au cuisinier que j’ai été. Je me suis dis c’est ça mon chemin ! La mosaïque reste en fond dans ma pratique, mais c’est les émaux qui me font continuer à travailler dans mon atelier chaque jour !!
J’applique l’émaillage sur la céramique au pinceau. J’utilise différentes sortes de pinceaux, de mélanges de couleurs et je teste différentes applications. Au début, je n’utilisais que des pigments, quand j’ai eu carte blanche, j’ai pu utiliser des oxydes et développer mon univers propre.
Je fais quelques émaux moyenne température (cône 6), mais mon expertise se situe avec les émaux basse température (à cône 06/04).
J’ ai découvert comment travailler par essai-erreur avec des émaux incompatibles. Je n’ai pas la base des connaissances du céramiste, notamment sur les coefficients de dilatation. Et je n’en ai pas vraiment besoin ! Je mélange des émaux avec des coefficients d’expansion différents.
Sur une pièce utilitaire, des émaux avec différents coefficients, ça ne fonctionnerait pas, ça pourrait même être dangereux. Alors que sur une tuile à plat pour la mosaïque, on ne s’embête pas avec ça, on a toute la liberté créative qu’on aurait pas dans l’univers de la poterie !
La gravité est importante aussi. Les émaux vont contre la gravité sur une poterie. Alors que sur une tuile, on ne travaille pas contre la gravité, donc les émaux interagissent davantage ensemble. J’ai essayé mes émaux à la verticale, et ça ne fonctionne pas du tout pareil !
Ah oui tu as créé un domaine à part à cheval entre la mosaïque et la céramique !
Oui peut-être 😃
Comment organises-tu ton atelier ?
Mon atelier est d’abord centré autour de la mosaïque. En effet, au moment où j’ai décidé de quitter Mosaika, la mosaïste Suzanne Spahi qui collaborait avec la structure a décidé de repartir en Italie. Donc j’avais l’occasion de reprendre sa boutique. On a trouvé une entente : moi je continue l’atelier mosaïque, mais avec ma compétence des céramiques peintes à la main. Ce que je peins est utilisé par les mosaïstes, ça fait donc un beau mariage !
En ce qui concerne l’aménagement, j’ai trouvé l’espace, j’ai tout installé pour avoir un atelier où l’on peut faire autant de la céramique que de la mosaïque.
Comment tu réussis à vivre de ta passion pour l’émaillage céramique ?
L’espace étant assez large, je rentrais dans mes frais, mais ça restait un enjeu de garantir un gagne pain pour ma famille. Donc ce n’était pas viable à long terme.
J’ai eu besoin de restructurer en louant une partie de l’atelier, et ça va mieux. De plus je collabore avec une mosaïste qui assure les cours de mosaïque pendant que je m’occupe des cours de céramique.
Je dois encore stabiliser le tout pour pouvoir m’y dédier à 100%. Je garde donc un travail à l’hôpital où j’ai des horaires souples que je peux ajuster à ma pratique à l’atelier.
J’offre aussi des ateliers libres, j’ouvre la porte le mercredi et le monde vient, c’est assez facile à organiser. J’ai aussi une boutique, je vends les matériaux de base, ça fonctionne sur rendez-vous, surtout en fin de journée.
L’organisation ce n’est pas naturel pour moi, mais en collaborant avec une professeure de mosaïque, j’ai plus de structure. La partie la plus stressante reste la comptabilité en fait ! C’est vraiment quelque chose qui ne s’improvise pas et j’ai compris que ça demande l’aide d’un comptable !
Quels sont tes projets pour le futur ?
Avant de prendre la relève de l’atelier mosaïque, je voulais travailler dans le domaine du design d’intérieur. Les tuiles avec toutes les couleurs et textures donnerait quelque chose de spécial dans une cuisine ou une salle de bain. Mon idée est de créer une ligne d’émaux prêts à émailler pour faire un détail d’une pièce ou encore une salle de bain. Malgré toutes mes activités, j’ai déjà un catalogue de textures. Il me faut juste rendre le tout plus accessible aux personnes extérieures !
Society of American Mosaic Artists (SAMA) m’a invité à parler de mes émaux, dans une conférence en rapport avec la mosaïque bien sûr, pour janvier 2021. Le thème de la conférence sera “Hand-glazed tiles for modern mosaics” (tuiles émaillées à la main pour mosaïques modernes).
Je vais aussi participer à l’événement Canadian Mosaic artist exhibition. Ils font une grosse exposition avec des oeuvres pan-canadiennes chaque 2 ans.
Pour la programmation à l’atelier, j’ai deux ou 3 artistes-invités reconnus en mosaïque qui viendront en 2021. Et côté céramique, peut-être une potière Montréalaise qui travaille le nerikomi (argile pigmenté) !
3 Replies to “Interview : Ricardo Ruiz Ruz, la passion de l’émaillage de la céramique”
MERCI POUR LA QUALITÉ DE TES INFOLETTRES. J’AIME LA DIVERSITÉ DES SUJETS QUE TU PRÉSENTES ET SURTOUT LES ARTISTES QUE TU NOUS FAIS DÉCOUVRIR.
FÉLICITATIONS !
Merci déjà pour votre guide téléchargé il y a quelques jours et imprimé pour ajouter à ma farde de tous les renseignements « céramique « que je glane ci et là car je suis toute débutante après une année de cours cahin caha arrêtés tout un temps à cause du COVID-19.
Votre guide est génialement bien fait et très instructif. Je m’y référerai en travaillant.
Cette année nous allons voir les glaçures, émaux et je m’en réjouis déjà car quelques pièces « biscuit » attendent cela et d’apprendre le raku.
J’habite la Belgique et pas trop loin de Anne Dory aux couleurs d’argiles qui a une boutique super alléchante et qui vend en ligne aussi et c’est super.
Bonne continuation à vous et votre équipe
Charline (Mamy de 70 ans) heureuse de découvrir les terres.
Merci beaucoup Charline !
Vous pouvez aussi consulter l’article sur le Raku et les articles sur les glaçures au besoin pour aller plus loin.
Bonne pratique.