Connaissez-vous la poterie traditionnelle kabyle et son histoire ? Je souhaite vous partager mes dernières découvertes à ce sujet tellement cet art m’a fasciné. Découvrir une toute autre manière de travailler l’argile que celle transmise en cours de poterie à l’école ou en atelier vous ouvre l’esprit. En effet il n’y a pas qu’une seule approche, ce qui fait d’ailleurs toute la richesse de l’art de la céramique !
Les vases, récipients et objets destinés à usage domestique sont toujours fabriqués de manière artisanale en Kabylie. Ces poteries recèlent de grandes qualités artistiques qui les rendent très populaires encore aujourd’hui. De plus, elles sont un vecteur de transmission de la culture locale depuis de nombreuses générations. Alors vous êtes partant pour un petit voyage en terre kabyle ?
Les origines de la poterie traditionnelle kabyle
Aussi vieille que la civilisation berbère, la poterie traditionnelle kabyle (Ideqqi, en kabyle) remonte à près de 1000 ans avant notre ère. Néanmoins, elle ne fut démocratisée que durant les siècles derniers. En effet c’est là que la Kabylie est entrée en contact avec d’autres civilisations que celles de l’Afrique du Nord, d’origine coloniales.
Où se trouve la Kabylie ?
la Kabylie (Taqbaylit, en kabyle) est une région naturelle, culturelle et historique située au nord de l’Algérie sur le continent africain, bordée par la mer méditerranéenne. Elle regroupe plusieurs provinces (wilayas) algériennes : Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira, Boumerdes, Jijel, Sétif et Bordj Bou Arreridj.
Depuis son avènement jusqu’à ces dernières décennies, ce sont les femmes kabyles qui détiennent les secrets de l’artisanat de la céramique. Elle le pratiquent en s’y vouant corps et âme. Elles façonnent ainsi des produits à la fois résistants, durables et très décoratifs.
Au cœur de la production
Les femmes kabyles ont accompli leurs tâches manuellement en se servant d’outils rudimentaires et de matières premières basiques. Le manque de moyens technologiques et industriels sophistiqués a fait perdurer ces pratiques. Leur créations possèdent ainsi des caractéristiques uniques, s’avèrent solides et pleines de charme.
Les matières premières
La matière la plus essentielle du procédé de fabrication des poteries Kabyles reste l’argile (talaxt, en kabyle), qui est présente en abondance aux alentours des villages kabyles. Elle possède une texture assez solide une fois séchée pour façonner des objets destinés à un usage fréquent.
L’argile à foulon (senṣal, en kabyle) délayé avec de l’eau, également disponible en abondance dans les villages kabyles, est utilisé pour la finition du produit.
Il n’y avait que deux couleurs disponibles lors de l’apparition de la poterie traditionnelle kabyle : le rouge, obtenu à partir d’un résidu d’une ocre rouge (muɣṛi, en kabyle) ; et le noir, extrait à partir du peroxyde de manganèse (busbu, en kabyle). Les femmes kabyles n’ont pas été capables d’extraire d’autres couleurs jusqu’à la fin 19ème siècle.
De la résine de pin (tizeft, en kabyle) était utilisée comme vernis pour l’étanchéité.
Les outils
À l’origine, en l’absence de four et de tour de potier, les femmes kabyles ont modelé leurs pots à la main. Elles se servaient d’outils rudimentaires : des bâtons en bois pour déplacer l’objet durant la cuisson, divers types de chiffons extraits de peaux d’animaux dédiés aux finitions et à la peinture, des pinceaux en soie de sanglier destinés à la peinture uniquement, et des raclettes en bois ainsi que des cailloux roulés pour faciliter le modelage manuel. Ce n’est qu’après l’occupation de l’Algérie par la France que des outils issus de la révolution industrielle ont été intégrés dans la poterie traditionnelle kabyle.
C’est donc tout à fait naturellement que les premiers outils ont été inventés. Cet exemple nous montre que chacun peut créer ses premiers outils de poterie selon ses besoins. Lisez l’article : 3 outils à faire vous-même pour débuter !
Le procédé de fabrication
Le printemps est la meilleure saison de pratique, lorsque la température est à la fois suffisamment élevée pour permettre le séchage et en même temps assez basse pour éviter les craquelures dues à une hausse de chaleur.
La préparation de la terre et le modelage
Premièrement, l’argile récoltée est séchée au soleil pendant trois jours, puis délayée dans de l’eau, lavée et débarrassée de ses impuretés comme le calcaire. Ensuite, elle est malaxée avec des débris pilés de poteries usagées afin de lui donner une meilleure consistance, c’est la technique du chamottage. Enfin, l’argile est façonnée à la main à partir de la technique du colombin et à l’aide d’une raclette en bois. Les colombins sont montés les uns après les autres selon l’architecture et la forme de l’objet recherchée.
Le polissage
On polie la pièce à l’aide d’un galet afin de supprimer tout défaut ou irrégularité. On lisse ensuite la poterie avec un chiffon en la recouvrant d’argile à foulon pour empêcher les gerçures et lui donner une surface facile à peindre. Avant d’entamer l’étape suivante, elle est laissée au soleil pendant trois jours afin de sécher correctement.
Le décor
Les femmes enduisaient à l’origine la poterie d’ocre rouge (couleur rouge) et de peroxyde de manganèse (couleur noire) à l’aide d’un pinceau en soie de sanglier et du doigt. C’est là que la créativité des femmes kabyles entre en jeu. En effet, rien qu’avec deux couleurs, elles réalisent de superbes décors de symboles géométriques, zoomorphes et anthropomorphes hautement esthétiques et symboliques. Ils évoquent d’ailleurs les tatouages et les bijoux des femmes kabyles.
Aujourd’hui, les ressources ont évoluées et plusieurs centaines de palettes de couleurs sont désormais disponibles.
La cuisson
Une fois la poterie totalement sèche, elle est prête pour la cuisson. La cuisson se fait en plein air en Kabylie, contrairement à d’autres régions de l’Afrique-du-Nord où on la pratique sous terre.
Autrefois le four en dur était totalement inconnu en Kabylie, la cuisson s’est donc organisé autour d’un feu de bois sec, au milieu duquel on empile les poteries. C’est grâce à leur expérience que les femmes kabyles jugent de la bonne température de cuisson d’une poterie, sans recourir à aucun moyen technologique de mesure.
Les femmes basent leur savoir-faire sur l’observation du temps de cuisson, l’odeur, la forme, le volume et le poids de la poterie. Il se transmet de mère en fille depuis des générations.
Le vernis
La cuisson n’affecte jamais la composition chimique de l’ocre rouge et du peroxyde de manganèse, ce qui garde les couleurs de la poterie naturelles et authentiques.
Une fois la cuisson finie, on enduit la poterie d’un vernis végétal. En effet, pendant qu’elle est encore chaude, on la frotte avec un morceau de résine de pin afin de lui donner une texture externe étanche. Cette option est particulièrement indispensable pour les objets servant à stocker ou servir des produits liquides.
La poterie est finalement prête à l’usage domestique !
Formes et fonctions
Les poteries traditionnelles kabyles se catégorisent selon 4 fonctions différentes :
Poteries de transport et de conservation
Le peuple kabyle, forcé de trouver des solutions pour pallier au manque fréquent d’eau, a eu recours aux poteries pour le transport et le stockage. Très variées en nombre et en formes, ces poteries s’adaptent bien aux différents besoins quotidiens, comme la conservation de l’huile d’olive. (zzit n uzemmur, en kabyle) ou les jarres, pour le transport. (tacmuxt, en kabyle)
Pot à deux anses, pour le stockage. (taxabit, en kabyle)
Poteries de cuisson
Il existe divers types de poteries servant à faire de la cuisine : les poteries de grillade, les poteries de chauffage d’eau, les poteries de soupes et bien sûr les poteries de préparation du couscous (seksu, en kabyle), qui est jusqu’à nos jours le plat le plus célèbre de la région.
Poteries de service de table
Certaines poteries servent spécialement à l’organisation des repas. On distingue des formes variées pour l’eau, le lait, la soupe, le couscous notamment.
« Le décor peint sur vases, qui fait aujourd’hui le succès de la poterie kabyle et qui existe dans ce pays au moins depuis la fin du Ier millénaire av. J.-C. n’a été reconnu que très récemment sur les poteries anciennes (…). L’existence de ce mode de décoration durant l’Antiquité avait été mise en doute ou même délibérément niée par les meilleurs esprits » Wikipedia
Poteries à usages divers
Certaines poteries n’ont pas de lien direct avec la nourriture. La plus connue d’entre elles étant la lampe à huile. (lmeṣbaḥ, en kabyle) D’autres détiennent un rôle important durant les fêtes, comme la cérémonie du henné.
Avec leurs nombreuses applications, les poteries traditionnelles kabyles ont apporté un confort considérable et ont facilité la vie quotidienne du peuple kabyle. Elle est d’ailleurs très prisée de tous les amateurs du style à travers le monde.
Vous connaissez maintenant les techniques et les outils nécessaires à la réalisation des poteries traditionnelles kabyles. Vous avez pu observer quelques motifs traditionnels utilisés par les femmes kabyles depuis des siècles.
Et maintenant, la découverte de ces formes et décors si particuliers va-t-elle influencer votre apprentissage de la poterie ?
Cet article est réalisé avec l’aide de l’écrivain et apprenti potier Kabyle : Mohand Ameziane Mohdeb
21 Replies to “La poterie traditionnelle Kabyle : Art et technique”
Merci infiniment pour ce magnifique et passionnant partage.
Super article. Très intéressant! Une pratique artisanale encore bien méconnue.
Article bien documenté, riche d’enseignement sur l’histoire, la création, la réalisation des céramiques et leur rôle. Des ressemblances surprenantes avec des poteries précolombiennes.
Bravo,MERCI
🙂
Merci Émilie pour cet article passionnant… Je me suis sentie transportée en Kabylie leur technique de dessins géométriques donnent de beaux résultats avec peu de couleurs et de motifs de base mais qu’elles arrivent à décliner de multiples façons. Vraiment très intéressant. Merci.
je vous en prie Sylvie. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir tout cela aussi.
Merci pour cet article vraiment très intéressant . Que ce soit en Inde, en Afrique ou en Océanie , leurs dessins sont toujours magnifiques et m’inspirent énormément.
Il y a aussi les poteries berbères de Sejnene en Tunisie, patrimoine immatériel de l’UNESCO
Très beau !
Merci Émilie pour ton superbe article, très riche et authentique.
Je suis céramiste d’origine marocaine et c’est vrai que ces objets sont splendides et je trouve que ces femmes sont des artistes qui créent pas juste des objets utilitaires mais aussi des oeuvres d’art contemporain.
Merci pour ce beau cadeau,tu m’as fait revivre des moments de mon enfance.
Passionnant ! Bravo et merci ☺
Merci EMILIE…c est tres interessant
Bonjour Emilie
Depuis plusieurs mois déjà, je reçois tes conseils, tes articles. Je t’en remercie beaucoup. L’idée me plaît de sortir de la solitude de l’atelier pour partager des réflexions, des expériences car je suis persuadé que la céramique est une histoire de transmissions : de la parole, du geste, de la pensée, de la culture, bref une histoire humaine.
C’est la première fois que j’ose te communiquer mes réflexions car je ne prends des cours que depuis deux ans et je pensais que mes propos n’auraient pas grand chose à apporter. Je me rends compte que tu as sûrement besoin d’avoir de temps à autre des retours pour t’encourager dans ce que tu fais si bien. Alors même si « qui ne dit mot consent », c’est tellement mieux de dire, surtout quand c’est pour faire des compliments !
Bon courage à toi pour les mois à venir.
Dominique
PS : je vis en Bretagne mais j’ai à cœur de rester informé et quand je le puis, d’informer. Alors pour les amateurs de céramique proches du Mont Saint-Michel, je leur conseille d’aller visiter le musée de Ger dans la Manche, où se tient une expo « hommage à la bouteille de Ger ». Une petite soixantaine de professionnels et d’amateurs ont proposé une création autour de ce thème. J’espère seulement que le confinement-Covid ne va pas trop longtemps perturber cette manifestation.
Merci pour cet article que j’ ai lu avec beaucoup. de plaisir et de souvenirs car j’ ai eu la chance de faire un stage avec des femmes kabyle .nous avons foulé la terre avant de fabriquer de nombreux pots cuits ensuite a ciel ouvert. Pas d outils sophistiqués,quelques poils de chèvre en guise de pinceaux . L habilité de ses femmes est incroyable c est un souvenir impérissable
Super intéressant Emilie.
J’utilise déjà une carte de magasin en plus de l’estèque reçue au début des cours et pour guillocher une vieille fourchette normale et une plus petite à dessert me sont bien précieuses.
Merci pour toutes vos explications toujours lues avec plaisir.
Portez-vous bien ainsi que votre petite puce.
Charline
Merci pour cet article qui m’a beaucoup touché!
Les formes, les dessins et les couleurs me sont très familiers.
Je viens de Tunisie, la culture Berbère est très ancrée dans ce territoire nord africain.
Quand on est né et grandi à la compagne, il est très naturel de manipuler la terre, modeler des petites figurines et voir les artisans travailler cette matière.
Du coup on se sent baigner dedans par tout nos sens, puisqu’on la touche, on l’a regarde on entend les tours a pied tourner et on sent l’odeur des pièce à leurs sorties d’une cuisson. Reste le goût? Et bien personnellement j’avais goûté l’argile quand on l’extrait du sol🙂
Bonne continuation et restez passionnés.
Amicalement.
Nabil
merci pour ce beau témoignage Nabil!
super article sur ces poteries que j’ai découvertes grâce à vous merci.
Merci encore une fois Emilie ! chaque fois c’est un voyage passionnant et enrichissant. J’attends le dimanche avec impatience. Félicitations pour votre petite !! Merciiiii ! Très bon weekend
Sally
Top , merci pour cet article 👌🏻🍀 bon dimanche! Salutations de Majorque 🏝